Sans bénévoles, les canots de sauvetage resteraient à quai en France. C’est aussi simple que cela. « Le bénévolat, c’est l’ADN de la SNSM et du sauvetage en mer, toute son histoire », souligne son président dans une interview publiée sur notre site internet. Plus de 9 000 bénévoles, dont 5 100 sauveteurs embarqués, qui doivent assurer la disponibilité de leur navire de sauvetage, grand ou petit, 365 jours par an, 24 heures sur 24. Un bénévolat « quasi professionnel », qui comporte un niveau d’astreinte et d’imprévisibilité assez exceptionnel.
En plus, le sauvetage a besoin des « équipages à terre », dont la majeure partie des 900 formateurs, notamment ceux qui préparent les jeunes nageurs sauveteurs des plages. Même les journalistes de Sauvetage, le magazine de la SNSM, sont en large partie des bénévoles. L’association valorise le travail effectué par les bénévoles à 51,5 M€ en 2022, soit 51 % des ressources de la SNSM, somme que l’on peut comparer à l’autre ressource vitale : les 35,7 M€ de dons et legs reçus d’un très grand nombre de particuliers et de certaines entreprises.
Or, une population de bénévoles a besoin d’un renouvellement permanent. Jacques Pithois, trésorier national bénévole, estime par exemple que, dans les quelque 300 structures locales, 40 trésoriers doivent être remplacés chaque année. Aussi, dès que le moindre doute s’exprime sur la pérennité du modèle bénévole, des oreilles se dressent. Pour Emmanuel de Oliveira, président de la SNSM et « premier des bénévoles », c’est un sujet d’attention permanent.
Il arrive que le sujet vienne sur la table, par exemple à une récente réunion des délégués départementaux de l’organisation – bénévoles eux-mêmes –, dont l’importante fonction est d’assurer la liaison entre le siège parisien et toutes les structures de leur département. Chez les sauveteurs, on reste cependant à un niveau d’alerte modéré. Jacques Pithois note « une modeste dégradation des vocations » et « la fragilisation de certains bénévolats ciblés, notamment celui des formateurs ».
De manière générale, la dégradation modérée des vocations et de la disponibilité est prise en compte implicitement dans certaines décisions : avec l’aide des technologies modernes, l’équipage minimum pour appareiller avec les plus gros navires de sauvetage a été ramené à cinq personnes.
Mais le prestige des Sauveteurs en Mer et le renouvellement des bateaux est équipements, assure un renouveau d’intérêt régulier. Notamment dans les départements à forte tradition maritime. Encore plus si l’on va au contact des bonnes volontés potentielles. « Nous essayons d’être présents à tous les forums des associations », explique Didier Lebeau, président de la station de Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d’Armor). Il y a quelques années, son prédécesseur avait été obligé d’organiser, avec le soutien de la mairie, une campagne d’affichage pour réamorcer la pompe du recrutement. Elle soulignait que tout le monde peut devenir sauveteur, pas seulement les marins professionnels.
Difficile de trouver des responsables
Les inquiétudes que l’on entend parfois chez les Sauveteurs en Mer ressemblent assez à celles qui s’expriment ailleurs : beaucoup de bénévoles n’ont pas envie de s’engager sur la durée et les associations ont du mal à en convaincre suffisamment de prendre des responsabilités. La société change, les bénévoles changent, les méthodes doivent-elles changer ? La Croix-Rouge essaye d’attirer des candidats par des spots au cinéma. D’autres associations recrutent en ligne, comme la Croix-Rouge, comme le montre l’affiche de recrutement ci-dessous :
« Nous n’avons pas de problème pour trouver les indispensables bonnes volontés pour des maraudes du soir ou pour servir les repas au camion, explique Pascale Carle, chargée de mission aux Restos du Cœur en Île-de-France. En revanche, quand il faut prendre des responsabilités dans la durée, les candidats se bousculent moins. Et, en Île-de-France, plusieurs associations départementales sont en administration déléguée par l’association nationale parce que personne ne veut être présidente ou président. »
Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des Etablissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne, évoque aussi des difficultés à intégrer des responsables. « Nos associations adhérentes peuvent heureusement compter sur des bénévoles à la base pour des coups de main essentiels dans les hôpitaux, les Ehpad ou les structures d’accueil des personnes en situation de handicap, indique-t-elle. En revanche, beaucoup d’associations membres ont du mal à trouver des candidats pour renouveler leur conseil d’administration. »
Exemple de la difficulté à recruter des responsables à la SNSM : Frédéric Damlaimcourt a récemment mis fin à son mandat de délégué départemental du Finistère, département où la SNSM compte le plus de stations. Il a pris cette décision au bout de quatre ans et demi seulement – alors qu’il s’était engagé pour six ans – afin de s’assurer d’avoir un successeur. Beaucoup de candidats potentiels s’inquiétaient du poids de la fonction. Cependant, Philippe Dutrieux était prêt à prendre le relais. Disponible début 2024, il n’aurait peut-être pas eu la patience d’attendre. « J’ai donc décidé d’anticiper, explique Frédéric Damlaimcourt. Je lui laisse un département dans lequel nous avons développé la collégialité pour alléger, autant que faire se peut, la tâche. Je resterai moi-même disposé à donner des coups de main. »
« Parlons de partager des responsabilités »
Binômes, collégialité sont les mots d’ordre un peu partout… « Parlons de partager des responsabilités plutôt que de prendre des responsabilités », suggère Hubert Pénicaud, référent national vie associative à France Bénévolat. Quelques grandes associations ont poussé la réflexion un peu plus loin, explique-t-il. Puisque les jeunes ont l’air de vouloir assurer le relais du bénévolat, comment les amener à embrasser aussi des responsabilités ? Réponse : « Il faut repérer tôt ceux qui pourraient devenir des responsables et leur proposer des formations. Celles-ci sont inter-associatives, ce qui permet aux participants d’échanger, de comparer et de prendre du recul sur leur propre association. Les résultats commencent à se voir aux conseils d’administration de la Croix-Rouge ou de France Handicap, par exemple. » Les Sauveteurs en Mer aussi réfléchissent, depuis un certain temps, à une formation des responsables.
L’alchimie du bénévolat
Trouver et fidéliser des bénévoles, c’est toute une alchimie. « Qu’est-ce qui fait que, dans un même bassin de vie et d’emploi, une station a plus de mal à renouveler ses troupes que l’autre ? », s’interroge Jean-Marie Choisy, délégué départemental de la Manche. Chacune a son histoire, sa culture, son ambiance.
Une fois recrutés et formés, encore faut-il que les sauveteurs soient suffisamment disponibles pour que les moyens puissent sortir. Formations, entraînements… Le sauvetage en mer est très exigeant en temps et, parfois, la lassitude peut s’installer. Les retraités, précieux aux heures où les autres travaillent, ont aussi leurs obligations, surtout quand ils aident leurs parents, leurs enfants ou leurs petits-enfants… voire tout le monde à la fois ! Ne pas être capable de répondre à un appel des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) est un échec pour une station. Le patron de station ou le président battent le rappel si nécessaire, mais le risque existe même si ces situations restent extrêmement rares.